Follow-up.... (from Le Soir, Belgium's #1 French-speaking daily)
Dyab Abou Jahjah, enquête sur une nébuleuse
ALAIN GÉRARD ALAIN LALLEMAND MARTINE VANDEMEULEBROUCKE
Faut-il avoir peur d'Abou Jahjah? Que représente son mouvement, la Ligue arabe européenne (AEL), et pourquoi son discours peut-il séduire les jeunes d'origine musulmane? Que révèlent les patrouilles arabes dont le lancement déchire la Flandre? Enquête.
Qu'est-ce que l'AEL? « Al Rabita ASBL » voit le jour le 22 février 2000 et adopte le nom d'Arab European League (AEL) le 28 décembre 2000. Depuis lors, l'ASBL est en friche et son président, Dyab Abou Jahjah, dit se moquer d'une dissolution judiciaire de son association. L'AEL apparaît pour la première fois publiquement le 1er avril 2002 dans un appel à manifester à Anvers en faveur du peuple palestinien. La manifestation, qui se déroule à proximité du quartier juif, dégénère. L'Union des mosquées d'Anvers condamne cette initiative mais les journaux flamands découvrent un président de l'AEL disert, provocateur, dont le look BCBG ne correspond en rien à l'image classique de l'islamiste. Médiatiquement, l'AEL et Dyab Abou Jahjah sont nés. Quelques mois plus tard, l'hebdomadaire flamand « Knack » consacre cinq pages à Jahjah qui y réclame, entre autres, la reconnaissance de l'arabe comme quatrième langue officielle en Belgique - Abou Jahjah affirme désormais que « Knack » l'a piégé - et envisage de présenter une liste aux élections communales d'Anvers, en 2006.
L'AEL revendique 800 à 900 « membres » (c'est invérifiable), « dans toutes les grandes villes de Flandre, à Bruxelles, à Charleroi », mais Abou Jahjah confesse ne pas avoir pour l'heure de grand développement sur la Wallonie. Pour les observateurs extérieurs, l'AEL aurait un nombre très limité de membres (100 à 250, selon les sources).
Ses idées? Le site internet de l'AEL permet de découvrir un mouvement qui se définit avant tout comme « panarabe », suivant la voie d'un islam « moderne, dynamique et consensuel », engagé fermement pour la cause palestinienne et la défense du peuple irakien. Abou Jahjah ne soutient pas le régime de Saddam Hussein, mais propose explicitement d'armer le peuple irakien pour lutter contre un éventuel envahisseur américain. Lors de la manifestation du 10 novembre à Bruxelles contre la guerre à l'Irak, AEL et Parti du Travail de Belgique (PTB) ont fait cause commune.
Selon la rhétorique de l'AEL, les références à l'islam semblent secondaires par rapport à l'arabisme. En fait, en interview, l'islam est la référence première, sans clivage chiite/sunnite. Abou Jahjah ne se reconnaît pas dans le modèle saoudien. La politique belge, elle, est absente.
On est surpris par la virulence du discours à l'encontre du monde politique et des élus d'origine étrangère en particulier. Le langage est à ce point radical qu'il peut parfois ressembler à celui du Vlaams Blok. Ne vous trompez pas : le noyau dur de l'AEL est constitué de personnes extrêmement politisées, pour la plupart des anciens membres du SP.A, prévient Tarik Fraihi, responsable de la Fédération des organisations démocratiques marocaines et ex-compagnon de route de l'AEL. Ahmed Azzuz, l'un des principaux porte-parole de l'association, figurait sur la liste électorale du SP.A à Temse.
Ce sont des déçus de la politique qui reprochent aux partis traditionnels de se servir des élus allochtones puis de les jeter. Et qui accusent les élus allochtones de « trahir » leur communauté. Les jeunes d'origine étrangère qui ont réussi à faire des études sont des survivants, explique Tarik Fraihi. Pour réussir et notamment réussir en politique, beaucoup sont devenus carriéristes et opportunistes.
L'AEL fustige également le concept d'intégration-assimilation. À cause du soupçon même que ce mot introduit, analyse Tarik Fraihi. Celui de considérer les Arabes comme n'étant pas des citoyens comme les Belges. L'ancien bras droit de Jahjah dénonce cependant la dérive vers la droite de l'AEL. Ses positions sur la famille, le combat social sont d'arrière-garde. Jahjah, on peut le comparer au CD&V: nationaliste et réac.
L'AEL se réfère au combat des Black Panthers aux États-Unis. Son ambition est d'émanciper la communauté arabe en Belgique. Et les patrouilles de surveillance de la police d'Anvers sont présentées comme un mouvement d'autodéfense, comme le faisaient les Noirs dans les années 60.
Le site de l'AEL renvoie à la télévision qatariote Al-Jazira, au journal cairote « Al-Ahram », mais en aucun cas à un groupe activiste de type Hamas ou Hezbollah.
Comment l'AEL recrute-t-elle ? Des étudiants de la VUB et de la KUL ont reçu des e-mails de l'AEL les conviant notamment à des réunions. La Ligue cible les jeunes intellectuels et leur assure une formation de « cadre ». Elle ne recrute pas n'importe qui, explique Tarik Fraihi. L'important n'est pas le nombre d'adhérents, mais leur « poids » dans l'organisation.
Son influence commence à inquiéter les associations marocaines à Anvers, note Marco Van Haegenborgh, collaborateur au Centre pour l'égalité des chances. L'AEL attaque d'ailleurs de front les associations subsidiées, accusées d'être les marionnettes du pouvoir. La Ligue puise dans les frustrations des jeunes et, à Anvers, elles sont nombreuses. Discriminations à l'emploi, dans l'accès au logement, relations difficiles avec la police. Un policier anversois note : Le simple fait de savoir qu'on vit dans une ville où un tiers de la population vote pour le Vlaams Blok pousse les jeunes Marocains dans une certaine parano...
Le langage de Jahjah et de l'AEL est clair, radical. Et cela plaît aux jeunes, constate Hassan, responsable d'une association de quartier anversoise.
Leurs propos, sur des questions comme le port du voile par exemple, ne sont pas ambigus, comme le sont souvent ceux des progressistes de gauche ou des organisations comme la Liga (la Lique des droits de l'homme flamande) ou le Centre pour l'égalité des chances, ajoute Tarik Fraihi.
Mais pour tous nos interlocuteurs, le meilleur agent de propagation des idées de l'AEL a été la presse flamande. Pour moi, Jahjah est une pure créature de la presse flamande, estime Rachid Madrane, chef de file du PS à Etterbeek. Chaque fois que paraît un article pour diaboliser Jahjah ou l'AEL, cela fait dix membres de plus, enrage Hassan. Les Belges n'ont rien compris à l'Histoire, ajoute Tarik Fraihi. En diabolisant Lumumba, ils ont assuré sa popularité au Congo. La presse et le monde politique recommencent la même erreur.
L'AEL est-elle présente à Bruxelles ? Abou Jahjah a annoncé son intention d'organiser des patrouilles de surveillance de la police à Bruxelles et à Liège. Mais la présence de l'AEL est quasiment nulle dans ces deux villes. Ils ont une antenne dans la capitale et doivent sans doute avoir quelques dizaines de sympathisants, estime Ahmed Bouda, responsable de « Al Manar », la radio de la communauté arabo-musulmane à Bruxelles. Ce qui ne signifie nullement que l'idée de patrouilles pour niquer les flics, comme lâche un ado dans la rue, ne puisse pas séduire et exciter les jeunes des quartiers difficiles. Bruxelles n'est pas Anvers, constate Saïd Benallel, éducateur de rue. Mais le risque de voir des jeunes s'engager dans de telles patrouilles existera tant qu'ils subiront au quotidien des discriminations.
Une certitude en tout cas : si la Ligue arabe européenne devait un jour s'implanter à Bruxelles, elle aurait sans doute un caractère plus « islamiste » qu'à Anvers.
© Rossel et Cie SA, Le Soir en ligne, Bruxelles, 2002
Is Mr Abu Jahjah on Mossad's payroll --if only unwittingly? It'd be a masterstroke by the Israelis... Of course, Belgium's secret service may be in cahoots with the Judeofascists: the AEL trap can be used as a political decoy to lure "terrorist wannabes"... |