Un peu de poesie
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Le début :
ACTE I
Scène 1
Le bureau du banquier.
Le banquier, son fondé de pouvoir.
LE BANQUIER
Holà ! mon bon ami, je vous entends courir Quelles bonnes nouvelles venez-vous me servir ? J'apprécie à son prix votre haut dévouement Parlez donc, parlez vite, n'attendez plus longtemps.
LE FONDE DE POUVOIR, hors d'haleine
Monsieur, monsieur...
LE BANQUIER
Mon bon.
LE FONDE DE POUVOIR
Il se..., il se...
LE BANQUIER
Plaît-il ?
LE FONDE DE POUVOIR
Il se retourne !
LE BANQUIER
Qui ça se retourne ?
LE FONDE DE POUVOIR, paniqué
Le ma-ma..., le ma-ma...
LE BANQUIER
le ma-quoi ?
LE FONDE DE POUVOIR
Le marché !
LE BANQUIER
Le marché ?
LE FONDE DE POUVOIR
Le marché !
LE BANQUIER
Vous n'êtes pas sérieux, ceci est impossible.
LE FONDE DE POUVOIR
La chose est là, monsieur, elle est irrésistible, Des villas somptueuses sont au prix de cabanes, L'immobilier s'écroule, nous passons pour des ânes. Les courtiers ont menti, et dans les formulaires, Gonflé les revenus, inventé les salaires. Or les gueux sont fauchés, ils n'ont plus un radis, Submergés d'échéances, ils deviennent faillis, Endettés jusqu'au cou, ils cessent de payer, Même vendre le bien ne peut plus rembourser.
LE BANQUIER
Reprenez-vous, mon cher, et gardez la raison, Considérez les charmes de la titrisation. De ces crédits pourris transformés en créances, Nous sommes soulagés et surtout des plus rances. C'était bien là d'ailleurs le but de la manoeuvre - Si belle novation est un très grand chef-d'oeuvre. Nous sommes dégagés de tout inconvénient, Nous n'avons plus le risque, il est à d'autres gens. Tous ces investisseurs en étaient si voraces, Nous leur avons fourgué toute notre merdasse.
LE FONDE DE POUVOIR
Il y a cependant...
LE BANQUIER
Il n'y a rien du tout, nous sommes à l'abri. Les crédits sont au loin et aussi les faillis. Ailleurs il est certain que d'autres font des pertes, Ca n'est pas notre affaire, n'ayez aucune alerte. Croyez-moi, il n'est pas une seule journée Où je ne me réjouisse des traders surpayés. Ce sont certainement de rudes imbéciles, En banque cependant, ce sont les plus agiles. Affairés à construire ces produits biscornus, Ils nous laissent sans tache et les autres cocus. La vie est ainsi faite, c'est la vie des affaires, Il faut être malin ou bien prendre un autre air.
LE FONDE DE POUVOIR
Il y a cependant...
LA BANQUIER
Savez-vous, mon ami, que vous êtes pesant, Vos "il y a" sont lourds, comme vos "cependant". A la fin je vous dis que tout est sous contrôle, Soyez assez aimable et changez-moi ce rôle.
LE FONDE DE POUVOIR
Mais je le voudrais tant, et tant je ne le puis, Il entre dans ma tâche d'annoncer les soucis. Ces créances pourries, il doit vous l' apparaître, Par la porte sorties, rentrent par la fenêtre. Les crédits titrisés sont actifs négociables, Il s'en mange au marché comme foin à l'étable. Notre banque, pauvresse, j'ose à peine, monsieur, S'en est gavée si bien, s'en est mis jusqu'aux yeux, Que nous voilà chargés, près de l'indigestion, Un peu comme un égout qui sort de la maison Mais fait soudain un coude et revient aux wécés - Nous baignons dans la crotte, nous sommes maculés. |